Les défis de la transition énergétique dans les pays exportateur du pétrole Le cas de l’Algérie

Une transition juste en Algérie doit être développée dans le but de réduire les émissions, de protéger l'environnement, de respecter les droits des personnes aux ressources et à un environnement vivable, et de préserver les ressources naturelles (y compris l'eau et la terre) pour les générations futures, tout en améliorant la situation des Algériens. ' qualité de vie en promouvant la justice sociale et économique, une répartition équitable des richesses et la démocratie énergétique, plutôt que de simplement générer des revenus grâce aux exportations d'énergies renouvelables. À cette fin, les propositions en faveur d’une transition énergétique devraient explorer la question de savoir à quoi sert l’énergie et par qui elle est utilisée, et pas seulement la question de sa source.

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Imane Boukhatem
Illustration by Othman Selmi

Illustration by Othman Selmi

La nécessité d’une transition énergétique en Algérie

L’extraction des combustibles fossiles dans les pays producteurs de pétrole contribue grandement aux émissions de gaz à effet de serre (GES). Après l’Afrique du Sud et l’Égypte, l’Algérie est le troisième plus grand émetteur de gaz à effet de serre en Afrique.1 En revanche, en 2020, l’Afrique était responsable de seulement 3,8 % des émissions de CO2 dans le monde, soit la part la plus faible parmi toutes les régions du monde.2 La majeure partie du carburant produit en Algérie est exportée et consommée ailleurs, produisant ainsi davantage de CO2. D’après le rapport spécial sur le réchauffement climatique du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), pour atteindre des taux de réduction d’émissions capables de limiter le réchauffement à 1,5 °C, la transition des systèmes énergétiques doit être rapide et de grande envergure.3

L’Algérie est le plus grand pays d’Afrique, avec une population de plus de 44 millions d’habitants. Elle s’étend de la côte méditerranéenne, où vivent la majorité des habitants, jusqu’au Sahara (où les températures de surface sont les plus chaudes au monde) qui s’étend sur plus des quatre cinquièmes du territoire du pays.4 Jusqu’à son indépendance en 1962, l’économie était essentiellement rurale et basée sur l’agriculture. Sa production était envoyée en France, ancienne puissance coloniale, pour y compléter celle de la métropole. Cependant, les principales ressources de pétrole et de gaz ont été découvertes dans le Sahara algérien à la fin des années 1950. Par la suite, les Accords d’Évian (1962) et l’Accord franco-algérien (1965) ont fourni un cadre à la coopération et à la gestion franco-algérienne des hydrocarbures jusqu’à la nationalisation de ces ressources en 1971, lorsque l’Algérie a pris le contrôle de son industrie des hydrocarbures.5

La nationalisation fut considérée comme « un acte de liberté politique important » (pour reprendre les termes de La Charte Nationale Algérienne de 1986), et les ressources pétrolières et gazières de l’Algérie sont désormais considérées comme faisant partie de ses richesses nationales, qui doivent être partagées avec la population sous la forme de financement des services sociaux, telle que la gratuité des soins de santé et de l’éducation.6

Les exportations d’hydrocarbures ont longtemps joué un rôle important dans la politique algérienne et l’économie du pays. L’augmentation des exportations d’hydrocarbures a financé le programme d’industrialisation du président Boumédiène (1965–1978). Par la suite, après la libéralisation et le passage à une économie de marché (à partir du début des années 1980), l’Algérie a vu son expertise de production minée et son potentiel industriel détruit, et le pays a été cantonné au statut de simple exportateur de pétrole et de gaz. Le pétrole et le gaz représentent désormais 93,6 % du total des recettes des exportations nationales, et environ 50 % du budget national.7

D’un point de vue économique plus large, depuis le début des années 1980 et sous l’influence du programme de libéralisation et de privatisation8, la production alimentaire de l’Algérie est tombée bien en dessous du seuil d’autosuffisance.9 Néanmoins, le niveau de vie a atteint un niveau correspondant au statut de pays à revenu intermédiaire, et le produit intérieur brut (PIB) par habitant a atteint 3 815,25 $ en 2020,10 faisant ainsi de l’Algérie l’un des cinq pays les plus riches d’Afrique.

En ce qui concerne la consommation énergétique, l’Algérie a déployé des efforts considérables pour fournir une électricité bon marché et fiable pour sa population, dont le taux d’accès à l’électricité était de 99,8 % en 2020.11Cependant, le pays fait actuellement face à un triple défi dans le secteur énergétique : une dépendance économique aux recettes des hydrocarbures, une consommation d’électricité croissante et des accords d’exportation de combustibles fossiles à long terme qu’il est tenu d’honorer, sous peine de sanctions, de procès et d’amendes.  En parallèle, la croissance de la population algérienne est rapide, à hauteur de 2 % par an en moyenne, et l’on s’attend à ce qu’elle atteigne 53 millions de personnes en 2030,12 Les exportations de gaz naturel ont donc été considérablement réduites, afin de répondre à la demande d’électricité croissante.13

À la lumière de cette situation, l’Algérie est confrontée à la nécessité de transformer rapidement son secteur énergétique tout en maintenant la justice sociale au centre des considérations. Toutefois, les recettes des exportations de pétrole constituent un obstacle majeur à une transition énergétique juste. Les recettes du pétrole et du gaz ont joué et jouent encore un rôle crucial pour répondre aux besoins essentiels de la population algérienne, tels que l’alimentation, les soins de santé et l’éducation, et pour lui garantir un niveau de vie de vie supérieur à celui de nombreux pays de la région. Une transition qui porte atteinte aux droits des personnes à l’alimentation, à la santé, à l’éducation, aux moyens de subsistance et au développement ne peut pas être considérée comme étant « juste ». En parallèle, des acteurs politiques puissants accaparent une grande part des revenus du pétrole et du gaz, et tirent profit de façon disproportionnée de l’économie extractive actuelle.14 Ainsi, d’importants obstacles socio-économiques, institutionnels et politiques s’opposent à une transition énergétique en Algérie, et une transformation sociale et économique radicale sera nécessaire pour mettre fin au système économique axé sur les exportations de combustibles fossiles. Le présent article met en lumière les opportunités, les difficultés et les injustices potentielles de la mise en œuvre d’une transition énergétique verte en Algérie.

Dans les pays du Sud dépendants des combustibles fossiles, la réduction des émissions de GES n’a pas encore pris le pas sur le développement socio-économique, et l’Algérie ne fait pas exception. Du point de vue de la justice, les pays du Sud (essentiellement du fait du colonialisme) n’ont guère profité du développement industriel, et n’ont historiquement aucune responsabilité dans la crise climatique. Pourtant, ce sont eux qui sont les plus touchés par les conséquences du changement climatique, sans parler des effets permanents des différentes formes d’extractivisme abusif dans lesquelles ils ont été enfermés. Lorsque leurs économies ont été structurées autour de l’exportation de produits primaires, tels que les combustibles fossiles en Algérie, ils sont confrontés à un double fardeau : d’une part, les impacts directs du changement climatique, et de l’autre, la nécessité de réduire puis mettre fin à l’extraction de combustibles fossiles.

Les acteurs clés au sein du gouvernement algérien et du secteur énergétique préconisent une diversification du système énergétique, mais ils sont davantage motivés par des considérations économiques que par des préoccupations environnementales. En réalité, la transition mise en avant par ces élites algériennes est essentiellement animée par une volonté de diversification économique, afin de libérer le pays de la dépendance aux revenus des combustibles fossiles et pour protéger l’économie nationale de la volatilité du marché des énergies fossiles. En parallèle, le développement de l’énergie verte a été motivé par une volonté de maintenir en place le système de rentes actuel, en remplaçant les combustibles fossiles par les bénéfices des exportations d’énergies renouvelables.

Au cours des dernières décennies, et malgré les différentes crises qu’a traversé le pays durant cette période, l’Algérie a su se bâtir une réputation d’exportateur important et fiable de gaz vers l’Europe, se plaçant en troisième position après la Russie et la Norvège. Face à la crise ukrainienne, l’Algérie a proposé d’augmenter ses exportations de gaz vers l’Europe pour soutenir le continent. Ainsi, Sonatrach a signé un contrat avec Eni, société pétrolière et gazière italienne, pour commencer le pompage de 9 milliards de mètres cubes de gaz supplémentaires en 2023-2024.15 A l’heure actuelle, étant donné que les réserves de gaz actuelles de l’Algérie ne sont pas en mesure de répondre à la demande européenne pendant le conflit en Ukraine, le gouvernement risque de subir des pressions pour développer et exporter des ressources gazières non conventionnelles, ou du moins pour forer davantage de puits. Mais étant donné que l’Union européenne se prépare à la neutralité carbone pour 2050, cette augmentation de la demande de gaz ne durera pas. Par conséquent, si le pays investit dans de nouvelles recherches de pétrole et de gaz pour répondre à la demande croissante de l’Europe, il risque fort de se retrouver dans une situation de blocage et d’actifs inexploitables.16

Par ailleurs, en ce qui concerne la consommation de gaz nationale, la situation en Algérie est rendue difficile par la croissance rapide de la demande intérieure et par une production stagnante, voire déclinante.17Dans ce contexte, les classes dirigeantes algériennes cherchent à contrôler la consommation intérieure de gaz afin de protéger la capacité exportatrice future, et voient le développement national des énergies renouvelables comme un moyen de réduire la consommation nationale de gaz.

Pour ceux qui profitent actuellement du système de rentes, il serait également avantageux d’augmenter la part des énergies renouvelables dans le bouquet énergétique, tout en réservant le gaz pour les exportations. À court ou moyen terme, cela garantirait une source de rentes continue, et par conséquent une stabilité socio-économique et politique. Mais cette option n’est pas viable à long terme : de plus en plus d’universitaires et d’experts reconnaissent que pour répondre à la crise climatique, une part importante des réserves connues de charbon, de pétrole et de gaz doit rester inexploitée. Et comme l’Europe vise la neutralité carbone dans les décennies à venir et applique la taxation du carbone, les hydrocarbures algériens n’auront pas de retombées lucratives. En outre, si l’objectif de sa transition énergétique est de réserver le gaz pour les exportations, le pays ne fera que perpétuer le modèle économique extractiviste de rentes, qui ne lui a pas permis d’atteindre le progrès auquel il aspire. De plus, cela ne ferait qu’aggraver la crise climatique qui, déjà, pourrait bien menacer la vie elle-même dans la région.

Loin de cette vision de la transition énergétique défendue par les élites, la transition vers un système énergétique durable doit s’accompagner de changements économiques, sociaux et environnementaux à long terme, et doit être basée sur les principes d’une justice sociale et économique. Par exemple, la qualité de vie des travailleurs et de leurs familles doit être améliorée en leur fournissant une juste rémunération, en respectant leur équilibre travail-vie privée et en créant un environnement de travail sain. Une redistribution équitable des ressources nationales de l’Algérie sera un principe fondamental de cette transition. Actuellement, de nombreux Algériens ne profitent tout simplement pas des richesses du pays. En outre, la démocratisation et le transfert de pouvoir aux citoyens pour décider de leur propre avenir énergétique constituent une forme de démocratie énergétique indispensable, et ces derniers doivent prendre part à la transition.

Pour résumer, une transition juste en Algérie devrait être mise en œuvre dans le but de réduire les émissions de GES, de protéger l’environnement, de respecter le droit des citoyens de disposer des ressources et à un environnement vivable, et de préserver les ressources naturelles (y compris l’eau et la terre) pour les générations futures, tout en favorisant une justice sociale et économique qui permette d’améliorer la qualité de vie des Algériens, ainsi qu’une distribution équitable des richesses et une démocratie énergétique, au lieu de se limiter à générer des revenus à partir des exportations d’énergies renouvelables. À cette fin, les propositions de solutions pour une transition énergétique devraient examiner les questions suivantes : à quoi sert l’énergie et qui l’utilise, plutôt que de se limiter à la question de sa source.

La politique climatique et énergétique de l’Algérie

En 1993, l’Algérie a ratifié la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) et elle a signé le Protocole de Kyoto en 2005. Depuis, tous les plans socio-économiques du pays ont inclus des mesures d’atténuation et d’adaptation au changement climatique.18 Le gouvernement algérien prévoit actuellement de réduire ses émissions de 7 % sans conditions d’ici 2030, ou de 22 % avec l’aide de la communauté internationale.19

L’élaboration d’un plan d’action stratégique pour lutter contre le changement climatique mondial et favoriser le développement durable du pays peut mobiliser un soutien financier international pour l’Algérie, soutien dont elle n’a pas bénéficié contrairement aux pays limitrophes.20Cependant, la question du financement de mesures en faveur du climat en Algérie va au-delà des problématiques techniques impliquées dans l’élaboration d’un plan pour recevoir des fonds. Il n’est pas certain que l’Algérie abandonne son industrie pétrolière et gazière en l’absence de décisions nationales et internationales fermes pour financer une transition énergétique. Mais si, conformément aux mesures en faveur du climat à l’échelle mondiale, le pétrole algérien ne doit pas être extrait et exporté, et si nous convenons que le peuple algérien n’a pas à payer pour les mesures en faveur du climat à l’échelle mondiale, par quoi les bénéfices actuels des exportations de pétrole et de gaz seront-ils remplacés, et qui paiera la facture ?

En outre, malgré les engagements internationaux existants, les politiques climatiques n’ont jusqu’à présent obtenu que peu de soutien ou d’attention de la part des institutions en Algérie. En effet, bien qu’une Agence Nationale pour le Changement Climatique algérienne (ANCC) a vu le jour en 2009, elle manque toujours de personnel à l’heure actuelle et reste fragile sur le plan institutionnel. En parallèle, le régime a connu des changements et les services et ministères ont été sujets à des remaniements réguliers, ce qui a entraîné une certaine confusion et interrompu des programmes de travail sur le plus long terme. Par exemple, en mai 2015, un changement de gouvernement partiel a mis un terme aux tâches associées à la planification durable et à la protection de l’environnement entreprises par le Ministère de l’Aménagement du Territoire, de l’Environnement et du Tourisme. La question environnementale a ensuite été confiée au Ministère des Ressources en eau. Deux ans plus tard était créé le Ministère de l’Environnement et des Énergies Renouvelables, consacré à l’environnement et directement associé à la question de l’énergie renouvelable.21 En 2019, cette thématique a été dispersée avec la création d’un nouveau Ministère de la Transition énergétique et des énergies renouvelables, dont le mandat se consacre uniquement à la transition énergétique. La même année, le ministère chargé de l’Environnement a lancé son premier projet de loi sur le climat, avec le soutien de l’agence de coopération internationale allemande (GIZ).

Après avoir mis en œuvre des politiques sur les sources d’énergie renouvelable dans le cadre du développement durable, sans résultat, le gouvernement algérien a mesuré l’importance d’intégrer des entreprises publiques de pétrole, de gaz et d’électricité dans ce processus. Sans les ressources financières de l’entreprise pétrolière nationale (la Société nationale pour la recherche, la production, le transport, la transformation, et la commercialisation des hydrocarbures, Sonatrach) et de l’entreprise publique de gaz et d’électricité (la Société nationale de l’électricité et du gaz, Sonelgaz), et en l’absence de compétences techniques et managériales, le Programme des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique (2015–2030) risque de se solder par un échec. Conscient de cette problématique, le Ministère de l’Énergie et des Mines a lancé un nouveau Programme des énergies renouvelables (2020–2030).

L’Algérie utilise principalement du pétrole, des produits pétroliers et du gaz naturel pour répondre à sa demande d’énergie intérieure, à hauteur de 98 %. Le pays n’a pas de capacité nucléaire ni hydroélectrique, ni de production au charbon ni de capacité installée de production d’énergie renouvelable. Cependant, afin de répondre à la demande intérieure croissante et de diversifier son bouquet énergétique, le pays s’apprête à inclure davantage de générateurs solaires et d’éoliennes.22

Algeria's primary energy production: 2019.23

Figure 2: Algeria final energy consumption by product 2019. 24

Figure 3: Algeria primary energy exports 2019. 25

Le secteur des énergies renouvelables en Algérie

Favorisée par sa géographie et son climat, l’Algérie est bien placée pour exploiter les opportunités de production d’énergie renouvelable. Le pays bénéficie de 2 000 à 3 000 heures de soleil par an dans son désert, qui couvre 80 % de la superficie du pays. Ce territoire a par conséquent le potentiel de générer plus de 169 400 terawatts par heure, ce qui correspond à 5 000 fois la consommation nationale d’électricité annuelle.26 Du fait de sa proximité avec les centres d’importation d’énergie européens, de l’étendue de son territoire et de sa réputation d’exportateur d’énergie fiable, des scénarios d’exportation d’énergie renouvelable sont également envisageables. L’énergie solaire et éolienne dominent dans le Programme national des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique, équivalant à 85 % de la capacité totale projetée pour 2028.27 L’Atlas algérien des ressources des énergies renouvelables, produit par le Centre de Développement des énergies renouvelables (CDER), a été publié pour la première fois en 2019. Il comporte un ensemble de représentations géographiques illustrant le potentiel énergétique de l’Algérie, qui comprend les ressources solaires, éoliennes, géothermiques et bioénergétiques.

 

Figure 4: Algeria solar map
Figure 4: Algeria solar map
Figure 5: Algeria wind map

Les programmes nationaux de développement des énergies renouvelables

Programme national de développement des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique (PNEREE) 2011

L’Algérie a élaboré plusieurs programmes de développement des énergies renouvelables depuis 2011, mais ces ressources ne contribuent encore que modestement aux besoins en énergie du pays. Le 3 février 2011, le gouvernement algérien a approuvé le premier programme national destiné au développement et à la promotion des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique : le PNEREE. Le programme visait à atteindre une capacité de production d’énergie renouvelable de 22 000 mégawats (MW) pour 2030, dont 10 000 MW étaient destinés à l’exportation, afin d’atteindre 40 % d’énergie renouvelable dans le bouquet énergétique total.30

L’actualisation du PNEREE en 2015 a principalement été motivée par d’importantes réductions dans les coûts d’investissements pour la production d’électricité issue de différentes sources d’énergie renouvelable, notamment le solaire photovoltaïque (PV), tel qu’indiqué sur la figure 6. En conséquence, la part d’énergie solaire concentrée (CSP) a été réduite à moins d’un tiers de ce qui avait été prévu à l’origine dans la version précédente du programme (elle est passée de 7 200 MW à 2 000 MW). Concernant le solaire photovoltaïque, sa part a été presque multipliée par cinq (passant de 2 800 MW à 13 575 MW).31

Figure 6: The evolution of the costs of producing electricity from renewable energies
Figure 6: The evolution of the costs of producing electricity from renewable energies32

Cependant, ni le programme de 2011, ni son actualisation de 2015 n’ont été mis en œuvre de manière significative : à ce jour, l’Algérie n’a installé qu’environ 425 MW de capacité solaire, ce qui est très loin de l’objectif du programme de 4 500 MW pour 2020.

Source Cible en 2020(MW) Installée en 2020(MW) Réalisations %
Solaire photovoltaïque (PV) 3000 400 13.33
Eolienne 1,010 50 5
Biomasse 360 0 0
Géothermique 5 0 0
L’énergie solaire concentrée (CSP) 25
TOTAL 4,375 475 10.7

Tableau 1 : Degré de réalisation des objectifs du programme de développement des énergies renouvelables en Algérie pour 202033

Le développement de la capacité prévue a été freiné par un manque de coordination dans l’exécution du PNEREE, y compris dans la dernière version de 2015, de même que par un manque de surveillance et d’évaluation, et avant tout un manque d’engagement politique sérieux pour la transition énergétique.

Programme national de transition énergétique 2020

Face à cette inertie dans la poursuite des objectifs du programme de 2015-2030, en 2019 le gouvernement a souligné sa détermination à rattraper son retard dans le secteur de l’énergie renouvelable. Un nouveau programme a été élaboré, le Programme national de transition énergétique 2020, dont l’objectif révisé est d’atteindre une capacité basée sur le solaire PV de 16 000 MW dès 2035. D’après le Ministère de l’Energie, cet objectif est un élément déterminant de la transition énergétique algérienne. Des centrales photovoltaïques reliées au réseau national devraient générer 15 000 MW en 2035, dont la première tranche de 4 000 MW est prévue pour 2024 ; les 11 000 MW restants devant être déployés dès 2030. Pour concrétiser ces plans, le projet « Tafouk I » a été annoncé en mai 2020, avec l’objectif de générer 4 000 MW de capacité solaire PV.34

Développements récents dans le secteur des énergies renouvelables

Approuvé en 2020, le plan algérien de produire 15 000 MW d’énergie renouvelable en 2035 avait été lancé en décembre 2021. La nouvelle Société Algérienne des Énergies Renouvelables (SHAEMS Spa), détenue par les deux entreprises publiques Sonatrach et Sonelgaz, a été chargée par le Ministère de la Transition énergétique et des Energies renouvelables de gérer le processus d’appel d’offres. La SHAEMS investira également dans chaque société projet, soit toute seule, soit en partenariat avec d’autres entités publiques et/ou privées. Si l’offre est acceptée, cela aboutira à la signature d’un contrat d’achat d’électricité pour 25 ans.35 Cette offre ne requiert pas de composante de contenu local industriel, mais l’utilisation d’équipements produits localement est motivée par des mesures incitatives. En outre, la règle 51/49, qui limite la part de l’investissement étranger à 49 % dans tout projet, a également été abandonnée pour le secteur de l’énergie renouvelable, confirmant ainsi l’orientation néolibérale du gouvernement algérien actuel (voir ci-après).

Difficultés et obstacles à la transition énergétique en Algérie

La distance entre les centres de demande et les centres d’approvisionnement constitue le premier obstacle à l’exploitation de l’importante capacité solaire de l’Algérie. Les centres de demande se situent au nord du pays, où la densité urbaine empêche la création de projets d’envergure. Mais l’approvisionnement s’effectue dans le Sahara, dans la moitié sud du pays, où l’ensoleillement et l’espace sont abondants. Outre le problème d’isolement, les conditions climatiques (entre autres considérations) impliquent que le coût de la construction d’installations solaires PV est 30 % plus élevé en Algérie par rapport à la moyenne mondiale.36

Au-delà des obstacles liés à la gouvernance, évolution vers une démocratie énergétique

L’absence d’une stratégie énergétique à long terme constitue un important frein pour la gouvernance de la transition énergétique : les initiatives de développement des énergies renouvelables sont inefficaces, fragmentées et manquent de coordination. Le secteur énergétique algérien a mis du temps à s’adapter au besoin urgent mondial d’énergies renouvelables engendré par le changement climatique. Comme nous l’avons résumé plus haut, l’Algérie a annoncé des plans ambitieux, mais leur mise en œuvre piétine en raison d’une mauvaise gestion, d’un manque de stratégie énergétique unifiée et d’une volonté politique insuffisante. Que les politiques et réglementations dans le secteur s’inspirent des autres pays ou qu’elles se développent en interne, leur mise en œuvre reste entravée par la bureaucratie et la corruption.

Le secteur énergétique est centralisé à Alger ; il est dirigé par le Ministère de l’Energie et des Mines et par les monopoles du pétrole, du gaz et de l’électricité détenus par Sonatrach et Sonelgaz. Dans ce système de gouvernance centralisée hautement autoritaire, il est peu probable que les idées de la population soient entendues et acceptées. De plus, l’Algérie adopte un modèle de gouvernance républicain, ce qui signifie que le corps élu constitue le seul pouvoir décisionnel. Le président nomme des gouverneurs de provinces, appliquant un fonctionnement vertical au sein duquel les innovations stratégiques au niveau local restent peu courantes. Alors que la société civile est fragile et fragmentée, et montre peu d’intérêt pour les problématiques climatiques et énergétiques, les objectifs de l’industrie des combustibles fossiles ne sont guère affectés par l’action populaire. Il est donc nécessaire d’adopter une approche stratégique plus flexible, participative et transparente, afin que les Algériens puissent prendre part aux discussions et proposer des solutions aux problèmes énergétiques du pays. En outre, l’inclusion des citoyens dans la prise de décision sur l’énergie stimulerait leur sentiment d’appropriation des biens énergétiques publics, ce qui pourrait modifier le comportement de la population, qui adopterait ainsi une attitude plus responsable et plus constructive. Rétablir la confiance entre le gouvernement et la population, en favorisant l’ouverture et la responsabilité, et avant tout en respectant les décisions des citoyens, serait une première étape vers l’instauration d’une démocratie énergétique en Algérie. Des alternatives plus décentralisées pourraient donner au peuple le pouvoir de choisir comment générer, consommer et échanger de l’énergie, tout en préservant le rôle essentiel de l’État en tant que gestionnaire, contrôleur et législateur.

L’Algérie souffre d’une grave pénurie d’eau qui menace la sécurité alimentaire du pays, entre autres conséquences, et risque de provoquer l’effondrement de l’agriculture et le déplacement des communautés locales. Ainsi, en août 2021, d’importants incendies ont détruit des dizaines de milliers d’hectares de forêts dans le nord du pays, et entraîné la mort d’au moins 90 personnes. Cependant, malgré les impacts catastrophiques évidents du changement climatique sur le pays survenus ces dernières années, ce sujet est rarement abordé dans les plans énergétiques du pays, en partie à cause de la faiblesse institutionnelle du Ministère de l’Environnement. Il est donc urgent d’inclure la variable climatique dans les futurs politiques et scénarios énergétiques.37

Financement de la transition énergétique

Malgré la réduction des coûts des technologies solaires et éoliennes, les projets d’énergie renouvelable nécessitent toujours une forte injection de capital. Le financement de la transition représente donc un défi immense pour l’Algérie. Trois options de financement national semblent envisageables : des fonds publics, des fonds privés algériens et des investissements directs étrangers.

Dans le contexte actuel de crise économique, les fonds publics sont de plus en plus sollicités pour répondre à ce qui est considéré comme des doléances socio-économiques plus urgentes, et ne peuvent donc apporter qu’un soutien limité à la transition à court terme. Cependant, un examen approfondi de la position économique de l’Algérie pendant les deux dernières décennies met en évidence un gaspillage énorme et une mauvaise gestion des finances publiques, qui s’ajoutent à une corruption bien ancrée. Pour permettre une transition significative et équitable en Algérie, l’État doit se démocratiser et mettre un terme à la corruption endémique. Ce dernier doit également jouer un rôle plus important dans la transition, engager davantage de fonds publics et défendre un financement climatique conséquent sur la scène internationale. En outre, il convient de rappeler que lorsque les prix du pétrole augmentent (comme c’est le cas actuellement), cela offre la possibilité de créer des fonds souverains pour financer nationalement la modernisation des systèmes énergétiques.

D’autres possibilités de financement conséquentes, telles que des fonds destinés à réparer les dommages causés par le changement climatique et le paiement de la dette écologique des pays du Nord, pourraient constituer un moyen efficace de mettre en œuvre une transition énergétique juste pour les économies dépendantes du pétrole, comme c’est le cas en Algérie. Toutefois, des doutes subsistent quant à la probabilité que de telles mesures puissent voir le jour. En effet, à l’occasion du sommet international de la COP26,38 un financement de 8,5 milliards de dollars avait été voté pour soutenir l’abandon graduel de la production au charbon en Afrique du Sud, mais il ne s’est malheureusement pas encore matérialisé. Nous ne pouvons cependant pas parler de transition énergétique juste sans soulever la question du paiement de la dette climatique et des réparations que les pays riches du Nord doivent payer aux pays du Sud, non sous forme de nouveaux prêts mais sous forme de transferts de richesses. Il ne s’agit pas seulement d’un impératif éthique ou moral, mais également d’une responsabilité historique. Les pays occidentaux industrialisés doivent payer leur juste part en aidant les pays plus pauvres, moins responsables du changement climatique et souvent aussi plus vulnérables face à ce dernier, à mettre en œuvre leurs plans d’adaptation et leurs transitions écologiques. Malheureusement, les processus actuels ne permettent pas ce genre d’assistance pour les pays producteurs de pétrole à revenu intermédiaire tels que l’Algérie, car les pays dont les problématiques liées à l’énergie sont plus complexes, par exemple pour accéder à une énergie propre, sont prioritaires. Cela reflète la façon dont les politiques climatiques internationales sont toujours enfermées dans un prisme d’« aide au développement », et ne tiennent absolument pas compte de la réelle nécessité de laisser les réserves de gaz et de pétrole inexploitées, ni de ce que cela implique en termes de perte de revenus considérables. L’arrêt de l’extraction exigera la mise en place de politiques redistributrices à l’échelle mondiale qui répondent directement aux besoins des pays exportateurs de pétrole, y compris les pays à revenu intermédiaire comme l’Algérie.

Pour ce qui est de la situation interne, il est évident que l’Algérie fait preuve d’un manque de volonté politique pour financer la transition énergétique. Par exemple, un fonds spécial avait été mis en place en 2015 pour financer les programmes de développement des énergies renouvelables, mais il n’a pas été utilisé de façon efficace du fait de l’absence d’un décret exécutif définissant une mesure juridique sur l’utilisation de ce fonds. Les politiques souveraines dans le pays interdisent l’endettement extérieur et limitent le financement international aux secteurs vitaux et stratégiques tels que l’énergie à hauteur de 49 %, contre 51 % pour les partenaires algériens. Cependant, en raison des pressions exercées par le lobby capitaliste local et mondial de l’énergie, qui affirme que le cadre réglementaire « précaire » et « rigide » de l’Algérie décourage l’investissement étranger, le critère souverain minimum de 49/51 pour cent a été abandonné pour les projets concernant les énergies renouvelables. La classe d’investisseurs privés en Algérie, principalement composée de fonds familiaux, préfère participer à des projets générant des profits rapidement, qui leur permettent de récupérer leur capital le plus vite possible, contrairement aux projets de développement des énergies renouvelables, pour lesquels ils devront attendre un certain temps avant d’obtenir un retour sur investissement. En outre, après une décennie de fausses promesses et d’engagements non tenus, les investisseurs en Algérie ont perdu confiance dans les programmes d’énergie renouvelable du pays. Cependant, depuis l’annonce du PNEREE en 2011, certains investisseurs privés se sont efforcés d’établir une chaîne de valeur du solaire PV pour soutenir le programme.

Malgré les grandes déclarations faites par les élites politiques algériennes sur le déploiement de l’énergie renouvelable, très peu de progrès ont été réalisés pour financer une transition énergétique via les trois sources susmentionnées. En parallèle, l’Algérie a manqué l’opportunité cruciale offerte par la manne pétrolière de 2004-2014 d’utiliser les revenus considérables générés pour s’industrialiser, diversifier son économie, entreprendre une transition énergétique solide et créer des emplois verts, alors que les prix du pétrole et du gaz étaient très élevés. Les superprofits réalisés à cette période ont été détournés par une élite prédatrice corrompue.39

Pour conclure cette discussion sur le financement de la transition énergétique, il serait intéressant pour l’Algérie d’élaborer des stratégies pour encourager les citoyens à investir dans des projets de développement d’énergies renouvelables à petite échelle au niveau local, et de soutenir des projets développés par les communautés. Cette forme de démocratie énergétique directe peut permettre de créer des emplois et d’autonomiser les communautés.

Expertise et obstacles technologiques

Contrairement aux technologies pétrolières et gazières depuis longtemps maîtrisées, l’Algérie manque d’expertise dans les technologies vertes. Ceci s’explique principalement par le manque d’intérêt politique pour ces dernières affiché ces dernières années, ainsi que par la désindustrialisation de l’économie algérienne depuis le début des réformes néolibérales mises en place dans les années 1980. Le processus de libéralisation et la transition vers l’économie de marché se sont accompagnés de l’élimination des connaissances à la fois théoriques et pratiques dans le secteur, ce qui a entraîné la fermeture des instituts spécialisés dans des domaines essentiels tels que les secteurs de l’énergie, de l’acier et du textile. À l’issue d’une campagne menée contre l’éducation secondaire technique, les sections techniques qui avaient contribué à la formation d’ingénieurs et de techniciens supérieurs pendant des décennies ont été abandonnées.40 Le nombre d’experts disponibles pour soutenir le programme de transition énergétique, notamment en ce qui concerne l’énergie renouvelable, l’efficacité énergétique et l’ensemble des activités économiques et industrielles associées, est encore bien inférieur au contingent nécessaire.41 Il est donc essentiel de développer la recherche appliquée et la formation pratique. L’Algérie a besoin de pouvoir bénéficier du transfert de technologies et des compétences managériales de pays qui ont réussi leur transition. Une telle coopération devrait permettre le renforcement des capacités des ressources humaines et matérielles de l’Algérie. Pour ce faire, il faudrait pouvoir dépasser les limites actuelles des monopoles technologiques, ainsi que le système de propriété intellectuelle appliqué par les accords de libre-échange et les institutions financières internationales.

L’un des aspects les plus difficiles à traiter pour la transition énergétique dans les pays du Sud est la mise en place d’un contrôle sur la technologie (transfert de technologies) et l’industrialisation : ces deux composantes sont nécessaires pour atteindre le niveau d’intégration économique requis pour le développement d’une économie verte prospère et créatrice d’emplois verts. Cela requiert un changement de paradigme entre le néolibéralisme et une plus grande implication et un investissement plus important de la part de l’État, ainsi que des financements dédiés au climat fournis par les pays les plus développés. Un “contenu local” (des politiques imposées par le gouvernement exigeant des entreprises qu’elles utilisent des produits fabriqués localement ou des services locaux pour participer à l’économie) est essentiel au développement d’un secteur algérien des énergies renouvelables qui soit solide et autonome. Les candidats sélectionnés pour mettre en place des projets sur les énergies renouvelables ont un rôle à jouer dans la stratégie industrielle, selon laquelle les composants de l’énergie solaire seraient fabriqués localement. Une telle stratégie doit permettre de développer une économie de l’énergie solaire locale tout en réduisant les coûts liés aux projets, en supprimant les coûts liés à l’importation de matériaux.42 Bien que ce type de stratégie bénéficierait à l’économie locale, en particulier le marché de l’emploi, elle serait extrêmement difficile à mettre en œuvre en Algérie où la chaîne de valeur de l’industrie locale n’est pas encore complètement structurée : elle en est à ses balbutiements, et une grande partie de la production locale ne répond pas aux normes internationales. Dans ce contexte, les investisseurs étrangers font actuellement pression pour éliminer l’exigence de contenu local, qu’ils considèrent comme un obstacle à l’investissement les empêchant d’engranger d’importants bénéfices. Pourtant, même si l’abandon de ces mesures pourrait éventuellement attirer davantage de fonds et stimuler le secteur de l’énergie, l’économie, l’industrie et le marché de l’emploi algériens n’en tireraient aucun profit. C’est pourquoi il est crucial d’envisager des solutions efficaces pour créer et améliorer la technologie et les compétences, en dépassant le système de propriété intellectuelle appliqué par les pays occidentaux et les monopoles technologiques, et en créant des partenariats gagnant-gagnant avec des pays du Sud tels que la Chine.

Accès à l’énergie et la question des subventions

Le marché de l’énergie algérien est encore dominé par le gouvernement. Cependant, le modèle économique non durable des entreprises publiques et leur mauvaise gestion ont suscité des appels à la privatisation et mis fin aux subventions. Pour s’adapter aux changements radicaux que connaît actuellement le secteur énergétique, l’entreprise publique Sonelgaz doit adopter des réformes techniques, managériales et financières afin d’être économiquement viable, mais aussi plus responsable et transparente. Par ailleurs, il est également impératif de procéder à des réformes progressives des subventions.

L’électricité est actuellement fortement subventionnée en Algérie : les foyers paient l’équivalent de 0,038 $ par kilowatt heure (KWh) pour l’électricité (1/7e du prix payé au Royaume-Uni). Les entreprises payent 0,033 $.43 Ces prix bas, qui sont très inférieurs aux coûts de production (environ 1/3 des coûts de production), peuvent être appliqués grâce aux subventions.

Il convient également de mentionner d’autres subventions indirectes, telles que les subventions aux combustibles fossiles, étant donné que l’électricité du pays provient essentiellement de ces derniers. Malheureusement, avec le système fiscal régressif de l’Algérie, ces subventions profitent moins aux classes pauvres qu’elles n’enrichissent les entrepreneurs et détenteurs de capitaux dans le pays. Une réforme des subventions équitable constitue donc un impératif politique et économique. Cette réforme doit être progressive pour les couches de population les plus modestes. Les classes les plus riches et les groupes capitalistes (qui, par conséquent, augmentent leurs profits) doivent être exclus de cette réforme, qui permettrait d’améliorer la vie des personnes les plus vulnérables de la société.44

L’Algérie fait actuellement face à une double crise socio-économique et politique. Le mouvement de protestation de masse (Hirak) qui avait démarré en février 2019 et qui a duré plus d’un an a représenté une menace sérieuse pour le régime algérien. Face à cette contestation associée aux répercussions économiques très lourdes du Covid-19, l’abandon total des subventions à l’énergie n’est pas envisageable dans un futur proche du point de vue politique, et constituerait une injustice pour les millions d’Algériens paupérisés ces dernières années. Par exemple, en réponse à la baisse mondiale des prix du pétrole en 2020, avec une économie en recul de 6 % selon le FMI et le déclin des réserves de devises, qui sont passées de 62 milliards $ à 47 milliards $ fin 2020,45 e gouvernement a limité son engagement en matière de dépenses sociales en les réduisant de 30 %. Malgré cela, le pays a accusé un important déficit budgétaire, qui a atteint 18,4 % du PIB en 2021.46 Outre l’augmentation de la pauvreté, des centaines de milliers d’emplois ont été perdus, y compris dans le secteur informel précaire. D’après les données du gouvernement, 500 000 emplois ont été perdus rien qu’en 2020.47,48 Au moment de la rédaction du présent rapport, l’économie algérienne est encore sous tension, même si la guerre en Ukraine pourrait se révéler être une bénédiction pour les dirigeants algériens, avec l’envolée des prix du pétrole et du gaz.

L’intégration de l’électricité produite à partir de sources d’énergie renouvelable dans le programme de subventions du gouvernement pourrait être une solution pour promouvoir le déploiement de l’énergie renouvelable. Cependant, le paradigme de la politique climatique néolibérale mondiale s’est avéré inefficace pour désinciter le recours aux combustibles fossiles, à travers un modèle de tarification du carbone et en promouvant des investissements dans les technologies à faible intensité de carbone, moyennant des subventions et en favorisant des structures contractuelles. Ce paradigme politique considère les gouvernements comme des protecteurs du capital des acteurs privés, entravant la résolution des problèmes sociaux et environnementaux. En générant des déficits d’investissements considérables et de par leur inefficacité technologique, les approches de privatisation du marché ont échoué à mettre en œuvre la transition énergétique dont a tant besoin l’Algérie. Par conséquent, un engagement politique solide envers la transformation du secteur énergétique public algérien est nécessaire, au moyen d’une intégration contrôlée des acteurs du secteur privé, ainsi que d’une gouvernance plus participative, transparente et démocratique des entreprises publiques.

Le besoin urgent d’une transition énergétique juste en Algérie

Le boom pétrolier des années 2000 a rétabli l’équilibre fiscal du pays et permis des investissements conséquents, mais la chute brutale des prix du pétrole depuis juin 2014 et pendant la pandémie de Covid-19 (bien que la situation soit désormais inversée avec l’invasion de l’Ukraine par la Russie) remet en question la stratégie économique et énergétique du pays. Les recettes des exportations ne couvraient que 67 % du total des importations en 2015, tandis que le fonds de régulation des recettes et les réserves de devises ont enregistré une baisse régulière, passant de 121,9 milliards $ en octobre 2016 à 42 milliards $ en mars 2021.50

L’économie algérienne est vulnérable par rapport aux fluctuations des marchés mondiaux, en raison de sa forte dépendance aux recettes des hydrocarbures, qui ne peuvent pas constituer une base solide pour concevoir des plans économiques à long terme. Cette instabilité est mise en évidence par les performances économiques récentes, marquées par des ralentissements et des reprises. La pandémie de Covid-19 a exacerbé la crise économique déjà à l’oeuvre dans le pays, et a constitué une menace supplémentaire pour les responsables politiques algériens dans la mise en place d’une économie diversifiée et la mise en œuvre d’une transition énergétique, ce qui a entraîné un déficit budgétaire croissant, une contraction économique et une réduction des dépenses publiques. Tout cela a complexifié la recherche de fonds pour financer la transition énergétique. Les prix du pétrole se sont pourtant envolés au quatrième trimestre 2021, suite à la reprise économique post-Covid : le prix du Brent a atteint 71 $/baril en 2021 (montant jusqu’à 86 $), après avoir démarré l’année à 50 $/baril. Les recettes des exportations d’hydrocarbures sont passées de 20 milliards à 34,5 milliards de dollars durant cette période. Par la suite, l’invasion de l’Ukraine a fait encore grimper les prix du pétrole, qui ont brièvement dépassé les 123 $/baril pour le pétrole brut Brent au début de la guerre.51

Bien que cela ressemble à une bonne nouvelle (du moins pour les dirigeants algériens), des prix aussi élevés peuvent représenter un frein à une transition énergétique verte, car ils pourraient contribuer à ancrer la logique extractivisme/économie de rente et risqueraient de provoquer l’exploitation de nouveaux forages de combustibles fossiles, particulièrement dans le contexte actuel où l’UE cherche à mettre un terme à sa dépendance à l’égard du gaz russe en diversifiant ses sources d’approvisionnement.52 Des signes préoccupants montrent que c’est la direction prise par les classes dirigeantes algériennes : après avoir accepté d’augmenter les livraisons de gaz pour l’Italie, ces dernières envisagent désormais d’explorer et d’exploiter de nouveaux gisements, avec l’aide de pays et entreprises européens.53

Les besoins à long terme du pays nécessitent une transformation rapide, et une transition qui soit à la fois économique et énergétique. Pour assurer sa transition économique, le pays doit mettre fin au système économique reposant essentiellement sur les combustibles fossiles, pour mettre en place une économie plus diversifiée basée sur des activités industrielles et agricoles durables, tout en cessant d’être un importateur net de produits pour devenir un producteur industrialisé. Quant à la transition énergétique, l’Algérie devra cesser d’utiliser des combustibles fossiles et adopter des vecteurs énergétiques plus durables, en développant des technologies vertes et en déterminant comment et par qui l’énergie doit être utilisée, favorisant ainsi la justice sociale et le bien-être humain.

D’après la feuille de route ‘neutralité carbone‘ d’ici 2050 de l’Agence internationale de l’énergie et conformément à l’Accord de Paris, la décarbonisation n’autorise pas l’investissement dans de nouveaux gisements de pétrole et de gaz. Dans l’état actuel des choses, on prévoit qu’en 2030, les pays auront dépassé de plus de 20 % le seuil maximal d’émissions si l’objectif de 1,5 °C de l’Accord de Paris est maintenu. En outre, les sociétés pétrolières contrôlent des billions de dollars d’actifs que, selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, elles ne pourront jamais consommer si les humains parviennent à survivre sur cette planète. De nombreux risques inhérents à l’industrie pétrolière deviennent de plus en plus visibles aux yeux des investisseurs privés et des institutions financières publiques. Il est donc impératif pour les producteurs d’hydrocarbures de stabiliser les prix, d’abandonner progressivement la production et de rechercher d’autres matières premières, telles que l’hydrogène bleu et vert.

L’urgence de la crise climatique nécessite la participation de l’industrie pétrolière et gazière, des gouvernements et des institutions financières (mais d’une autre manière), l’implication active des travailleurs et des syndicats pour prendre des décisions fermes, ainsi qu’un engagement solide pour les appliquer. Il faut mettre fin au développement et au soutien du secteur des hydrocarbures, en déployant une stratégie rapide mais juste pour abandonner progressivement la production de pétrole existante et planifiée, tout en aidant les pays, les communautés et les travailleurs du monde entier dépendant du pétrole et garantir une transition en douceur.54

Malheureusement, rien ne prouve que l’Algérie prévoie d’arrêter sa production de pétrole dans un avenir proche. Comme indiqué ci-avant, en raison de l’augmentation de la demande européenne, l’Algérie cherche actuellement à développer son secteur pétrolier et gazier en attirant des investisseurs pour explorer de nouveaux gisements. Cette stratégie augmente le risque d’interdépendance et d’accumulation d’actifs inexploitables dans le pays, et présente le risque qu’une chute chaotique de la demande de pétrole ne conduise à l’effondrement économique de l’Algérie, à cause de sa dépendance totale aux exportations de combustibles fossiles. Un tel effondrement entraînerait la disparition de l’aide gouvernementale aux services publics, la réduction des subventions aux produits essentiels, l’affaiblissement (voire l’effondrement) des entreprises publiques et donc la privatisation, ouvrant la voie au capitalisme néolibéral et au néocolonialisme. Peu d’Algériens pourraient alors vivre de façon décente dans des conditions aussi extrêmes.

L’augmentation actuelle du prix du pétrole (due à la guerre en Ukraine) offre une opportunité d’engager des fonds importants, dans le déploiement de l’énergie renouvelable en Algérie et dans la transition énergétique. Le gouvernement algérien devrait immédiatement donner la priorité à la transition énergétique et à la diversification économique, afin de protéger la souveraineté nationale et d’offrir aux Algériens un avenir sécurisé sur le long terme. Cela doit s’accompagner de subventions de la part des pays du Nord pour lutter contre le changement climatique, dans un effort de réparation des injustices climatiques, pour aider l’Algérie à s’adapter aux impacts du changement climatique et à mener sa transition vers les énergies renouvelables. À plus long terme, l’exportation d’hydrogène vert (ou d’autres énergies renouvelables) pourrait permettre au pays de conserver sa position d’exportateur d’énergie fiable après l’ère des hydrocarbures. Toutefois, ce scénario ne sera réalisable que si les énergies renouvelables représentent une part beaucoup plus importante du bouquet énergétique de l’Algérie. Dans le cas contraire, le développement d’infrastructures réservées exclusivement à la production d’hydrogène à des fins d’exportation, par exemple, compromettra la transformation du pays, exacerbera ses problématiques énergétiques et perpétuera sa position subalterne au sein de l’économie mondiale.

Plusieurs instruments stratégiques peuvent être adoptés pour gérer une sortie progressive et juste de l’économie du pétrole et du gaz en Algérie.55 Le gouvernement algérien doit développer des outils stratégiques ascendants afin de protéger les travailleurs, leurs familles et les communautés qui seront touchées par le démantèlement des industries pétrolières et gazières. À cette fin, une commission ou un organisme devrait être mis en place pour identifier les travailleurs de ces industries et les communautés qui seront directement affectés par la transition. Une aide financière, une requalification et un retour sur le marché de l’énergie verte seront requis. Dans cette optique, des programmes de compétences écologiques devront être élaborés pour permettre aux travailleurs concernés d’accéder à de nouvelles opportunités sur le marché du travail.

Pour protéger les communautés des impacts négatifs de la transition énergétique, une gouvernance démocratique est nécessaire, ainsi que davantage de mécanismes ‘top-down’ et de participation. Il serait utile de sensibiliser le public au sujet des dangers du changement climatique et de la nécessité d’une transition énergétique, dans les écoles, les mosquées et les différents canaux éducatifs et religieux, en inculquant une attitude plus responsable vis-à-vis des enjeux planétaires. La jeunesse doit être mobilisée et la solidarité doit se développer avec les communautés algériennes qui résistent et cherchent à s’adapter au changement climatique, à travers le mouvement mondial pour la justice climatique. Il pourrait être efficace de mettre en place des commissions citoyennes et un ministère dédié (ou du moins une division au sein de ce ministère) pour gérer la transition juste. Il sera crucial pour l’Algérie de s’inspirer de l’expérience d’autres pays : les initiatives en cours pour éliminer graduellement la production au charbon dans de nombreux pays fournissent des exemples précieux pour mener la sortie progressives du pétrole et du gaz de façon équitable.56 Ces expériences ont mis en évidence l’importance des mesures suivantes :

  • Définir des objectifs ambitieux et cohérents avec l’Accord de Paris, à travers un processus clair et reposant sur divers mécanismes de financement, de mise en œuvre et de coopération énergétique, et définir clairement le délai requis pour inscrire les recommandations dans la législation.
  • Adopter une approche inclusive, dans laquelle les femmes, la jeunesse et les minorités marginalisées sont représentées.
  • Maintenir un équilibre du pouvoir parmi les différents acteurs, et reconnaître le rôle central des revendications relatives aux droits humains, qui incluent le droit des personnes d’accéder à l’énergie, à une vie décente et à un environnement vivable, mais également le droit à la terre ou à d’autres ressources des communautés qui risquent d’être affectées par les projets d’énergie renouvelable.
  • Garantir des structures décisionnelles et des processus institutionnels transparents tout en assurant la confidentialité des délibérations.
  • Envisager des changements structurels au lieu de ne considérer que les implications économiques. Il est important d’identifier et d’impliquer les communautés affectées et de considérer les problématiques de genre générées par une sortie progressive du pétrole et du gaz, et jusqu’à présent négligées.
  • Souligner l’importance de la mise en place de politiques climatiques ambitieuses par le gouvernement, et de son engagement à mener une transition équitable en apportant une aide aux régions et communautés affectées.
  • Mobiliser une aide internationale à la fois financière, technique et managériale pour soutenir une transition juste qui ne laisse personne de côté.

Enfin, afin de garantir la viabilité à long terme de son activité, l’entreprise publique Sonatrach devrait mener une analyse de risques approfondie pour tout investissement futur dans le secteur du pétrole, et envisager sérieusement les opportunités commerciales liées aux énergies renouvelables.

Conclusion

La situation et les problématiques propres à l’Algérie reflètent celles de nombreux autres pays riches en gaz et en pétrole, au moment de faire face à la nécessaire transition énergétique mondiale. L’Algérie a manqué de nombreuses occasions d’entreprendre sa transition énergétique, à cause de la réticence jusqu’à il y a peu de l’élite au pouvoir à en faire une priorité. Avec la crise économique mondiale actuelle, le pays aura du mal à financer la transition énergétique tout en évitant simultanément une dégradation des conditions socio-économiques (notamment en continuant à subventionner l’alimentation en électricité de la population). En effet, la paix sociale dépend de la disponibilité de l’énergie à faibles coûts.

En plus de ces problèmes internes, la transition énergétique mondiale risque d’alourdir le fardeau du pays. Outre l’impact direct sur les entreprises publiques de pétrole et de gaz, leurs employés et leurs familles, une transformation énergétique globale pourrait entraîner une chute des recettes d’exportation de pétrole et un effondrement économique, menant à l’appauvrissement de nombreux Algériens.

La tendance de transition énergétique sur fond de néocolonialisme mondial, en particulier les politiques d’exportations vert centrées sur l’UE, visent essentiellement à soutenir une transition écologique au niveau européen, au détriment de ressources à faible coût et de leur travail sous-valorisé dans les pays du Sud. En donnant la priorité aux exportations d’énergies renouvelables et d’hydrogène vert (par exemple), la transition de l’Algérie serait compromise car une stratégie axée sur l’exportation prévaudrait sur la résolution des problèmes énergétiques et économiques nationaux. Si les fonds limités attribués à la transition énergétique de l’Algérie sont utilisés pour construire et/ou rénover des infrastructures servant à l’exportation, le pays aura du mal à répondre à ses demandes de transformation énergétique locales. Au lieu de privilégier les exportations, par exemple en exportant de l’hydrogène vert, et de consommer des combustibles fossiles sur place, il serait plus logique et plus équitable de traiter en priorité le besoin de transition énergétique du pays.

Pour qu’elle soit juste, la transition ne doit pas se limiter à un passage aux technologies d’énergie verte, mais doit également garantir la protection des employés du secteur du pétrole et du gaz et leurs familles, et aussi leur inculquer les compétences nécessaires à leur intégration sur le marché du travail vert. Par ailleurs, un accès à une énergie abordable et fiable doit être garanti pour tout le monde, ainsi qu’un rétablissement à la suite des impacts négatifs de l’extractivisme sur l’économie, la société, la politique et l’environnement. Afin d’éviter avant tout que la transition ne soit qu’un passage de l’extractivisme fossile “noir” à un extractivisme “vert” renouvelable, il faut impérativement protéger le droit à la terre et aux ressources des communautés vivant à proximité des sites d’énergie renouvelable.

Bien qu’il soit crucial de consolider l’implication du secteur public dans la transition énergétique, les institutions doivent également être mieux gérées et devenir plus transparentes et responsables. Enfin, de meilleures politiques et mécanismes doivent être mis en place pour permettre une distribution uniforme des richesses nationales et la réduction de l’écart entre les différentes classes sociales, de même qu’un secteur énergétique plus démocratisé qui permette aux Algériens de participer activement à la détermination de leur propre avenir, et de trouver de véritables solutions aux problèmes liés à l’énergie. Avant tout, l’Algérie doit s’engager à soutenir les initiatives en faveur du climat, à définir des objectifs élevés de réduction des émissions et à refuser tout investissement futur qui ne soit pas conforme à l’Accord de Paris. Par la suite, il s’agira de bien préparer l’abandon progressif des combustibles fossiles, et une décarbonisation progressive du secteur de l’énergie. La communauté internationale devra apporter sa coopération pour mettre en œuvre une sortie programmée et équitable de l’industrie des combustibles fossiles, et éviter un effondrement dramatique de l’économie algérienne. Enfin, le pays a besoin de communiquer efficacement avec la population au sujet des problèmes actuels et futurs liés à l’énergie, et des risques économiques qui menacent le secteur du pétrole et de l’énergie, afin d’ inciter les travailleurs algériens à accepter et à coopérer à l’application des mesures nécessaires pour réduire les risques économiques liés à la transition énergétique

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